Shitz
de Hanokh Levin
Mise en scène de Christine Berg
Traduit par Laurence Sendrowicz
Avec
Mélanie Faye, Laurent Nouzille,Vincent Parrot et Gisèle Torterolo
Et les musiciens
Elena Lloria Abascal, Vincent Lecrocq et Damien Roche
Scénographie
Renaud de Fontainieu
Lumières de
Pablo Roy
Musique de
Lyonnel Borel
Costumes
Juan Morote
Maquillage
Nathalie Charbaut
Régie
Elie Romero
Directeur de production
Vincent marcoup
Coproduction
ici et maintenant théâtre/Action Culturelle du Pays de Briey/La Comédie de Reims – CDN
Administration
Anne Delépine
La compagnie ici et maintenant théâtre est conventionnée avec le Ministère de la Culture / Direction Régionale des Affaires Culturelles de Champagne-Ardenne, avec l’ORCCA / Conseil Régional de Champagne-Ardenne et subventionnée par la Ville de Châlons-en-Champagne. Création soutenue par le Conseil Général de la Marne.Le texte de la pièce est publié aux éditions Théâtrales, dans Théâtre Choisi III, Pièces politiques.
Shitz
L’écriture politique de Levin ne cessera d’évoluer de pair avec son écriture dramatique. Montée en 1975 en réaction à la guerre de 1973, Shitz revêt la forme de la comédie familiale, un genre qu’il a commencé à développer avec Yaacobi et Leidental (1972), et dans lequel il passera maître. Farce grotesque, la pièce retrace la résistible ascension de Peltz, un arriviste qui pense pouvoir s’enrichir grâce à la guerre. L’action se déroule au sein d’une famille, réduite à trois personnages, microcosme de la société toute entière. Peltz épouse la fille, met la main sur l’entreprise du père – une société de travaux publics – et la fait fructifier en creusant des tranchées pour l’armée, jusqu’au jour où il est lui-même envoyé au front et … meurt. En mettant en scène des profiteurs qui considèrent la guerre comme un mal nécessaire, exploitent sans vergogne la main d’œuvre bon marché des territoires occupés et corrompent tous les systèmes dans lesquels ils pénètrent, Shitz met le doigt sur une profonde mutation de la société israélienne. Durant les représentations au théâtre Cameri de Tel-Aviv, la dimension comique l’emporta sur la critique politique et la pièce connut un très grand succès public.
Premières réflexions
Comme toujours lorsqu’un texte s’impose à moi pour la scène, c’est d’abord un choc à la lecture, une force immédiate, quasi incontestable. Ce fut le cas pour Shitz.
Ce qui est bien sûr frappant au premier abord, c’est le comique de la pièce, bien qu’il soit si caustique, si méchant parfois, qu’on reste dérouté, abasourdi plus qu’amusé.
Cette humanité est si noire qu’elle nous fait rire, mais comme c’est aussi la nôtre, on est perplexe…
Sommes-nous donc si mauvais ?
Il y a dans tout cela, certes une grande lucidité, un pessimisme rare, aucune rédemption possible et dans le même mouvement, une tendresse d’entomologiste pour ces petits que nous sommes, ces « empêtrés de la vie »…
J’aime la force brute de cette écriture sans concession, qui n’est pas sans une troublante poésie, ou plutôt une hauteur de vue, que n’ont pas les personnages, mais l’auteur, cette capacité des grands à stigmatiser une part de notre humanité à tous, bonne et mauvaise.Il faudra être à la hauteur des deux dimensions de la pièce : comique et philosophique.
Avant tout, Shitz est une « pièce musicale » : deux actes, vingt-neuf scènes et dix-sept chansons inscrites dans le texte.
Pour la première fois, nous aurons des musiciens sur scène, trois.La scénographie s’approchera de celle d’un petit cirque : petite piste circulaire et rideau de velours qui s’ouvre au fond sur la musique.
Peu de mobilier, on change de scène comme on change de veste ou de chapeau.
Les personnages ne sont pas des caricatures, ce serait trop facile ; il faudra veiller à les rendre confondants d’humanité ; c’est pour cela que je veux des acteurs qui dégagent de la bonté, de l’esprit.Autant ils sont cupides, méchants, sournois, autant ils n’en auront pas l’air…
Le texte est toujours plus fort que nous quand il est ancré comme ici dans une authentique force de résistance : résistance aux clichés, résistance à la bêtise politique environnante et force de la dérision ultime de la représentation.
Christine Berg – février 2007

Hanokh Levin
Né à Tel-Aviv en 1943, décédé prématurément en 1999, Hanokh Levin, figure majeure du théâtre israélien contemporain, nous a laissé une cinquantaine de pièces, ainsi que plusieurs recueils de poésie et de prose.
C’est en réaction à la vague de triomphalisme qui submerge son pays au lendemain de la guerre de 1967 (la guerre des Six Jours) que cet homme à la pensée d’une rare liberté, commence à faire entendre sa voix, sous forme d’un spectacle de cabaret politique : toi, moi et la prochaine guerre – spectacle qui déclenche un tollé et est retiré de l’affiche après quelques représentations. Loin de s’en inquiéter, Levin récidive en 1969 puis en 1970, attaquant, avec de plus en plus de virulence, les valeurs politiques, militaires et morales adoptées par une très large majorité de la société israélienne de l’époque.Cependant, s’il doit une entrée en scène fracassante et sulfureuse à ses textes politiques, ce sont ses comédies qui, à partir de 1972, lui ouvrent les portes du monde théâtral. Yaacobi et Leidental, qui sera aussi sa première mise en scène, marque le début de ce que l’on peut appeler « l’ère Levin » en Israël. Jusqu’à sa mort, l’auteur tiendra le rythme d’une création par an.
Pendant plus d’une décennie, Levin écrit surtout des comédies qu’il insère dans un microcosme lui permettant de peindre la condition humaine dans ce qu’elle a de plus tragique, de plus cruel et aussi de plus drôle. Il fait entrer dans la lumière des personnages dont le principal problème dans la vie est la vie même – surtout la leur. Chaque instant se traduit pour eux par une lutte qu’ils mènent courageusement ou hargneusement, handicapés par leur médiocrité mais suffisamment lucides pour savoir que cela finira mal et qu’en plus tout le chemin ne sera qu’une suite de désillusions. Empêtrés dans l’inéquation entre leurs aspirations et les moyens qu’ils mettent en œuvre pour les réaliser, tous les héros de Levin ont l’humanité entêtée, âpre, mauvaise, mais si naïve, si bouleversante aussi, que nous nous y retrouvons tous – touchés dans ce recoin d’enfance et de candeur que nous avons gardé quelque part au fond de nous.
Le succès étant au rendez-vous, Levin, qui dès le début des années 80 peut travailler sur toutes les grandes scènes de son pays, commence à interroger de nouvelles formes d’écriture et d’images scéniques, puise dans les grands mythes universels (les mythes bibliques, les tragédies grecques, le théâtre épique, etc…)afin de créer un « drame moderne », au service duquel il met son langage théâtral si particulier, mélange de provocation, de poésie, de quotidien, d’humour – toujours sous-tendu par une tendresse fondamentale pour le genre humain.
Consacré par les prix israéliens les plus prestigieux, il n’en continue pas moins d’affirmer ses opinions à travers des textes écrits au vitriol, ce qui lui vaut en 1982 de voir sa pièce Le Patriote rapidement retirée de l’affiche et en 1997, de déclencher un nouveau tollé avec Meurtre.
D’une envergure qui dépasse de loin les frontières de son petit pays pour toucher l’universel, cet auteur a su transformer la douleur (inhérente à sa lucidité accrue) en une force de frappe aussi jubilatoire que violente.
Comme pour faire la nique à la mort, à qui, depuis trente ans, il a donné la vedette, Levin, se sachant malade, met sa propre mort en scène dans une ultime pièce, Les Pleurnicheurs, dont il entreprend les répétitions en mai 1999. Réalité qui devient théâtre ou théâtre qui devient réalité, il dirige de son lit d’hôpital des acteurs qu’il cloue sur un lit d’hôpital – l’action se déroule dans un département de soins palliatifs où les médecins jouent, pour « divertir » leurs patients, la tragédie d’Agamemnon… une mort qui le rattrape avant qu’il ait pu voir aboutir son projet. Le 18 août 1999 Hanokh Levin s’éteint après un combat de trois ans contre le cancer.
Il laisse derrière lui un vide terrible, vide dans lequel les événements qui déchirent la région depuis quelques années trouvent une effroyable résonance.
Laurence Sendrowicz

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