Des Couteaux dans les poules

Premières réflexions

Encore un grand choc à la lecture de cette pièce, comme on dit « un coup de cœur » ou un coup au cœur…
Beaucoup d’émotions se bousculent.

Une émotion littéraire d’abord. Cette langue étrange, inédite, me touche et me dérange ; j’ai la sensation qu’il manque des choses (au sens strict il manque des mots…) On est embarqué dans un univers dont on ne nous donne pas toutes les clefs. C’est passionnant et mystérieux, ça m’interroge sur la fonction même du langage, quand il est ce qu’il ne dit pas, quand il laisse des trous entre les êtres. Ce n’est pas seulement dans sa nature « culturelle » c’est-à-dire dans le nombre de mots que l’on possède, mais plutôt dans ce que chacun d’entre eux recouvre exactement, ce qui reste une énigme au fond. Et du coup, des champs indicibles s’ouvrent entre nous tous. Comment nommer ce que je vois et que disent les mots de ce que je ressens ?

Une émotion de théâtre ensuite. L’impression de n’avoir jamais lu ça.Bien sûr, les personnages et l’histoire racontée ont des références visibles (des paysans plutôt frustres, des relations triangulaires violentes), il y a une « vraie » histoire qui se déroule devant nous, mais elle se dérobe, elle est pleine de tiroirs, elle semble faite de surimpressions comme dit Claude Régy.
Et puis encore une émotion à la découverte de ce personnage de femme qui s’émancipe grâce à l’écriture. Quelle belle idée ! Cette jeune femme, au début analphabète, apprend avec stupeur du meunier que si elle sait écrire, elle pourra conserver la mémoire, ce qu’elle a fait, ce qu’elle a vu et que le temps ne soit plus en écoulement morne de faits répétés mais une cathédrale de mots sans cesse élevée. Se libérer du joug quotidien par l’écriture, s’élever spirituellement dans le travail de la langue…

Ce texte est un pari. Un de ces enjeux que j’aime, que j’ai envie de faire partager. Il s’inscrit d’évidence dans un travail qui est le mien depuis le début : une interrogation sur la langue, une écriture neuve et peu connue, une histoire à raconter aussi avec « Il était une fois… »
Le théâtre est toujours cet endroit de friche, de terre inconnue à explorer, pour que nous puissions encore partager des émotions, des questions, et nous sentir devenir autres, faire bouger les lignes.

Christine Berg